Les productions du sens, leur analyse neurosemantique dans l’expression des phénomènes naturels et des modes de raisonnement

Khaled AIT HAMOU, Professeur de Sémantique, 5 Septembre 1997, Institut de Paléontologie Humaine, Paris.

Le Dr Ait Hamou a choisi de nous adresser un texte actualisé faisant le point sur ses recherches en place et lieu du CR de réunion.

La neurosémantique a pour objet l’étude du fonctionnement du cerveau de l’Homo sapiens par l’analyse des productions sémantiques caractérisant la communication humaine. La neurosémantique intègre dans son champ d’analyse des données relevant de la typologie linguistique, des logiques formelles et informelles, de la neurophysiologie, de l’endocrinologie, de la biophysique et de l’évolution. C’est dans un cadre interdisciplinaire qu’est réalisée l’analyse des productions sémantiques. Elles caractérisent: la compréhension des lois naturelles du monde physique (environnement de l’Homo sapiens), les procédés de démonstration utilisés dans le discours scientifique (contradiction, raisonnement par l’absurde, récurrence, etc…), les mécanismes bio- sémantiques des paradoxes (en mathématiques, en logique et en physique) et des apories (Zénon). L’analyse de ces productions sémantiques nous permettra dans ce cadre interdisciplinaire de comprendre comment le cortex de l’Homo sapiens produit du sens .

Le cadre biophysique de la communication sonore (phonation et audition) est privilégié tout au long des analyses. La communication gestuelle des primates relève des structures du cerveau antérieur (mésencéphale et diencéphale). Celle qui repose sur les structures sensorielles, hors phonation et audition (visuelle ou tactile, par ex.) de l’Homo sapiens ne peut produire un modèle de compréhension des productions sémantiques ci dessus. L’Homologie des aires corticales du langage oral des primates et de l’Homo sapiens est déterminée par les innervations respectives de leurs aires neurosémantiques. Les variations d’amplitude des intensités sonores, les modulations sonores (intonatives). Les vocables dénotant les objets physiques relèvent d’Homologies caractérisant les aires neurosémantiques du cerveau antérieur.

Des innervations caractérisant essentiellement des aires neurosémantiques de l’Homo sapiens sont celles du centre laryngé, situé au pied de la troisième frontale ascendante. Les acteurs biophysiques caractérisant ce centre sont le muscle crico thyroidien, les plis vocaux et les nerfs laryngés supérieurs (sensoriels et moteurs). Les productions sémantiques sont celles qui correspondent à l’expression des gradations de la mesure (très petit, très grand, très fin, trop étroit, etc…) au morcellement du monde extra linguistique, (rétrécissement, dilatation, expansion, miniaturisation, etc…). En linguistique descriptive elles sont codées par des unités syntaxique (adverbes, intensifs, adjectif +ment). Ce codage variant suivant les langues analysées.

Dans le cadre d’une communication orale (entre sapiens) l’enfant n’utilisant pas ces unités syntaxiques aura recours à la tenue vocale (intensification du flux sonore). On observe également cette pratique dans les langues à tradition orale. Les opérateurs syntaxiques ne faisant que coder une communication orale propre aux innervations et structures du centre laryngé. Ces données constituent une étape fondamentale dans l’analyse contrastive du langage des primates et de l’Homo sapiens. Dans le cas d’une surdimutité affectant le centre laryngé, le langage gestuel ne peut véhiculer les productions sémantiques caractérisant les gradations et morcellement du monde physique. Dans ce cas et dans celui d’autres pathologies langagières, les seuls relais sont ceux du cerveau antérieur. Cette situation est bien sûr différente chez les non voyants dont le centre laryngé est actif. Cet exemple constitue une limitation interne dans le cadre de la plasticité cérébrale.

La neurosémantique se propose de montrer l’interdépendance des productions sémantiques et des lois naturelles régissant le monde extra linguistique. Cette interdépendance constitue le fondement structurel du fonctionnement cortical. Elle se départit des idéologies platoniciennes ou mécanistes car leurs propositions sont elles-mêmes des productions sémantiques d’un objet (le cortex) soumis à analyse. L’interdépendance peut générer et produire des propositions telles que: le cortex, objet ‘fini’ peut penser l’infini. Les études en psychogénétique, en linguistique, en didactique des disciplines scientifiques, en endocrinologie, concernant le développement cognitif de l’Homo sapiens ont mis en évidence un stade fondamental caractérisant ses compétences et performances langagières et cognitives.

Ce stade bio sémantique est celui de la puberté. Une hormone, présente dans le cerveau antérieur (hypothalamus) et dans le néocortex, la GnRH est garante de la transition biologique entre les stades pré pubère et post pubère de l’Homo sapiens. Le stade biologique de la reproduction est lié sur le plan cognitif à l’émergence de productions sémantiques caractérisant la contrefactualisation. Les énoncés contrefactuels ou «généricités» sont associés à l’expression des lois naturelles du monde physique et du vivant, à la quantification et à la formalisation des théories dans le discours scientifique. Le cadre biosémantique de ces productions sémantiques relève du stade post pubère de l’Homo sapiens. Ce cadre est celui du cerveau hormonal du néocortex du sapiens.

Les aires neurosémantiques de la contre-factualisation n’ont pas d’Homologues chez le primate. Elles ne sont pas effectives ou opérationnelles chez le prépubère. Chez ce dernier, les énoncés associés à l’expression des lois sont des énoncés factuels relevant des aires neurosémantiques du cerveau antérieur (mésencéphale et diencéphale), du cortex sensoriel et des circonvolutions frontales. Les énoncés factuels s’articulent dans le cadre de la logique algorithmique .C’est la sémantique des réseaux neuronaux, du potentiel d’action, celle du ‘tout ou rien’.

Les prédicats (segments sonores) qualifiant des propriétés de la matière ou du vivant peuvent illustrer des processus continus ou des gradations par le biais du centre laryngé cortical. Ainsi, le prédicat ‘petit‘ sera codé dans le cadre d’une tenue vocale par ‘très petit‘; proche, par ‘très proche‘; une répétition de l’unité codant très très très accentue le processus de gradation. Au delà de quatre ou cinq répétitions, la gradation est stable. C’est le seuil biosémantique du centre laryngé. Ces processus sont propres aux stades prépubère et postpubère. La transition neurosémantique caractérisant ces deux stades apparaît dans le champ de la mesure (espace physique ou numérique) Les expressions telles que ‘aussi petit que l’on veut ‘aussi proches que l’on veut ‘ ‘moindre que toute quantité donnée‘ désignent des gradations en isolation (opacité) référentielle. Elles sont associées à des énoncés contrefactuels caractérisant les productions neurosémantiques de l’Homo sapiens post- pubère.

La logique algorithmique du cablage neuronal ne peut pas générer à elle seule la sémantique des énoncés contrefactuels (généricités). Un nouvel acteur intervient: c’est le langage hormonal. Le support de la communication hormonale n’est pas le potentiel d’action du câblage neuronal. Le réseau vasculaire constitue un autre ensemble de canaux de communication. L’analyse neurosémantique considère le cerveau comme objet d’études. Le neurosémanticien étant lui-même auteur et objet d’analyse, on peut craindre les retombées d’un cercle vicieux du type: ’le sens peut-il analyser le sens‘ ? Afin d’éviter le sort fatal du reptile avalant sa propre queue, le neurosémanticien procède à une analyse des productions sémantiques correspondant à des stades de fonctionnement du cortex de l’Homo sapiens actuel ainsi qu’à une analyse contrastive de cortex de primates et d’Homo sapiens prépubère et postpubère. Le cadre interdisciplinaire est nécessaire pour l’analyse neurosémantique .

La topographie des empreintes des réseaux vasculaires sur les parois endocrâniennes illustre les divers stades des ramifications et des anastomoses caractérisant la circulation encéphalique des hominidés. Le stade achevé du quadrillage vasculaire, celui de l’Homo sapiens actuel remonte à une époque dénommée néolithique. Les différentes empreintes de la vascularisation méningée observée sur de nombreuses voûtes crâniennes d’hominidés laissent apparaître des réseaux et des anastomoses. Le langage hormonal étant lié au réseau vasculaire, on peut avancer l’hypothèse qu’une insuffisance du quadrillage et des anastomoses affecte le langage hormonal (l’actuel) et par là le même l’espace contrefactuel. En fait, la bipédie ne constitue pas le critère essentiel de l’hominisation.

Le procédé de démonstration par l’absurde en mathématiques est une production sémantique de l’espace contrefactuel. Il n’est de ce fait, pas accessible aux aires neurosémantiques du prépubère. Examinons l’exemple suivant de démonstration par l’absurde. Considérons deux entiers p et q n’ayant pas de facteur premier en commun. Notons le quotient p/q = x. Question : est-il possible d’avoir (p /q) x (p/q) = x² avec x²= 2. Cette étape du raisonnement relève d’une procédure algorithmique. Notons la: étape (1). Il en est de même de l’étape (2) : p²/q²= 2 d’où p²= 2 q². Les étapes (1) et (2) relèvent des aires neurosémantiques du prépubère. Ce qui n’est plus le cas des étapes suivantes. Si p²était égal à 2 q², p² serait pair puisqu’un entier est pair s’il est multiple de 2: étape (3). Si p² est pair, p est pair: étape (4), p² carré pair est un multiple de 4: étape (5). Le meneur  de jeu (on peut considérer ces étapes comme celles d’un jeu) revient à l’étape (2): p²= 2 q².

Si dans p² il y a un facteur 4, (p² étant divisible par 4), à droite de l’égalité (=) il y a un facteur 4, soit 2×2: étape (6). Il y a donc un facteur 2 dans q²: étape (7). q² serait égal au produit de 2 par un nombre; soit q² = 2 N, q² serait donc pair. q² étant pair, q est pair: étape (8). La contradiction émerge ! p et q étaient choisis sans facteur premier. Le meneur de jeu est tout au long de l’argumentation le cortex du post pubère. Il peut de ce fait recourir à l’espace des aires contrefactuelles et algorithmique. Les énoncés contrefactuels attestés dans les étapes 6 et 7 ne correspondent à aucune généricité: (loi) de l’arithmétique. La loi, elle, stipule que si deux carrés sont égaux, le nombre de facteurs figurant à gauche est égal au nombre de facteurs figurant à droite de l’égalité. Les étapes (6) et (7) ne constituent pas des factualisations du contrefactuel ci-dessus.

La contradiction émerge lorsque la ’connexion‘ contrefactuel-factuel est asémantique. Le raisonnement par l’absurde utilisant ce processus est une opération corticale. Ce n’est donc pas un processus algorithmisable ou factualisable. Il ne relève pas du cadre neurosémantique caractérisant le prépubère. Le raisonnement par l’absurde est considéré dans les productions du discours formalisé comme un outil de démonstration logico-mathématique. En fait, c’est bel et bien une opération corticale qui ne relève pas d’un univers platonicien. Le mécanisme de ce raisonnement repose sur le caractère asémantique (non factualisable) attribué à l’énoncé contrefactuel.

Dans l’exemple précédent, le fait de considérer que dans p² = 2q², il y a un 2 dans q² constitue une factualisation d’un processus asémantique. Le contrefactuel sur lequel repose cette actualisation (asémantique) est une « généricité» de l’arithmétique. Si on a deux suites de nombres premiers tels que: A1 xA2 x … An = B1 x B2 x …Bn, alors A1 = B1, A2 = B2 ,…An = Bn. Cette généricité n’autorise pas une factualisation du type : p²= 2 q². Il n’existe pas de contrefactuel dont dérive le factuel p²= 2 q². Le caractère asémantique de ce dernier provient du fait qu’il existe un contrefactuel tel que: un carré n’est pas égal au double d’un carré. L’égalité établie entre (p / q) x( p/ q) = 2 n’est pas factualisable, l’opération algorithmique en découlant aboutit à p²= 2 q². L’égalité devenant asémantique lorsqu’elle est utilisée comme énoncé contrefactuel. Le raisonnement par l’absurde est une opération neurosémantique (corticale). Il constitue l’un des volets d’une autre opération: la contradiction.

L’intervention de Khaled Ait Hamou sera suivie de nombreuses questions du public tant sur le plan théorique, linguistique que sur les conséquences de cette séparation pré-postpubère pendant l’évolution. Ainsi, certaines ont concerné le problème des limites évoqués par les modèles mathématiques cités où les niveaux d’abstraction font intervenir ces différentes structures. D’autres, ont concerné les langages à tradition orale utilisant des sons prolongés et qui se servent en particulier de ce centre dans l’expression des gradations intensives, des dilatations et des structurations de l’espace. Il y aurait ainsi chez Sapiens un pendant sémantique à la production sonore différent des primates. Des précisions sont demandées à l’auteur par Anne Dambricourt et Dominique Laplane, tous deux intéressés à différents titres par l’évolution du crâne et ses conséquences. Khaled. Ait Hamou argumentera en particulier sur la contre-factualisation qui permet le raisonnement par récurrence qui n’est absolument pas transposable au primate. Il en ressort dans l’ensemble que l’approche neuro- sémantique aurait intérêt à être développée afin de ne pas tout lier à l’organique, mais de cerner précisément le cadre de la mise en place des réseaux d’apprentissage pendant l’ontogenèse des primates comparée à sapiens.

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