PLASTIR N°64 03/2022

DÉ-VERDIR LE VERT: IMBROGLIOS ÉPISTÉMOLOGIQUES D’UN FÉTICHE (TROP) EN VOGUE

Commissaire d’expositions, auteur et théoricien de l’art et des médias, Jens HAUSER vit et travaille à Paris et Copenhague où il est chercheur au Medical Museion de l’Université de Copenhague. Il est également chercheur à l’Université médicale de Vienne et membre distingué du département des arts, de l’histoire de l’art et du design à la Michigan State University où il codirige le programme d’artistes en résidence Bridge. Il enseigne à l’Université du Danube à Krems, à l’Université d’Innsbruck, à l’Université des Arts Appliqués de Vienne, à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, et il est également chercheur invité à l’École Polytechnique Paris-Saclay. Hauser a initié un réseau interdisciplinaire pour des ’Greenness Studies’ et consacre son travail au thème du ‘vert’ depuis une trentaine d’années. En tant que curateur, Hauser a organisé plus de 30 expositions et festivals internationaux. Selon son approche des plus originales, l’enchevêtrement du vert symbolique, de la verdure ontologique et du verdissement performatif impose des défis à différentes disciplines offrant un panorama épistémologique propice à une démystifications joyeuse: le ‘vert’, symboliquement associé au ‘naturel’, doit être considéré comme la plus anthropocentrique de toutes les couleurs. Mais il n’y a guère eu de réflexion sur la migration du concept du ‘vert’ à travers les différentes cultures de savoir : Des ingénieurs considèrent la chimie ou la biotechnologie ‘verte’ comme écologiquement bénignes, tandis que les chercheurs en climatologie désignent le ‘verdissement de la terre’ lui-même comme l’effet alarmant des émissions anthropiques de CO2. La ‘croissance verte’ prétend concilier les développements écologiques et économiques, pendant que la nouvelle taxonomie de la l’UE classe le gaz fossile et l’énergie nucléaire comme ‘verts’. Ainsi, les arts médiatiques expérimentaux tentent de ‘dé-verdir le vert’ et de déconstruire l’ambiguïté d’une métaphoricité superficielle omniprésente.

PLUS QU’UN. L’ART (D’ÊTRE) MÉTASTABLE

Ludovic DUHEM est philosophe et artiste. Il enseigne la philosophie de l’art et du design dans différentes institutions en France et à l’étranger. Il est actuellement coordinateur de la recherche à l’ESAD Valenciennes. Ses recherches portent sur les relations entre esthétique, technique et politique en lien avec les enjeux écologiques. En design, il travaille essentiellement sur le design écosocial selon une perspective critique nourrie par l’écologie sociale, le biorégionalisme et la mésologie. Il a récemment publié avec Kenneth Rabin, Design écosocial. Convivialité, pratiques situées et nouveaux communs (It:éditions, 2018); avec Richard Pereira De Moura, Design des territoires. L’enseignement de la biorégion (Eterotopia, 2020) et avec Jean-Hugues Barthélémy, Écologie et technologie. Redéfinir le progrès après Simondon (Matériologiques, 2022). Un ouvrage est en préparation Crash metropolis. Design écosocial et critique de la métropolisation des territoires (T&P, 2022). Plus d’infos sur www.ludovicduhem.com. Dans cet article tout en profondeur, Ludovic Duhem pose une question précise : Que peut l’art dans la situation catastrophique des « grands déséquilibres » de l’Anthropocène? Au lieu d’y donner une réponse définitive ou même un ensemble de critères qui définirait non seulement une vocation mais un programme pour l’art et les artistes, une telle question est abordée par la voie d’un équilibre ni stable ni instable, à savoir l’équilibre métastable. Mais pour comprendre en quoi l’équilibre métastable est intéressant voire décisif pour notre époque, il est proposé de commencer par repenser l’être comme « plus qu’un », c’est-à-dire comme relation constitutive et réciproque au milieu, en suivant la pensée de Simondon et de Berque. L’appel à un « art des milieux » est finalement exprimé au-delà de l’esthétique au sens restreint. Nous partageons cette vision mésologique qui ouvre de nouvelles perspectives sur la gestion des déséquilibres comme des équilibres métastables des milieux.

UNE MANIFESTATION ART-SCIENCE-INDUSTRIE : LES PLATEAUX CRÉATIFS

Cet essai est écrit en duo. Edwige ARMAND est artiste-chercheuse en art à l’INP Purpan de Toulouse et est rattachée au laboratoire LARA-Seppia. Passionnée par l’histoire des sciences et de l’art, la philosophie, sa pratique artistique allie ces différents champs disciplinaires articulés autour de la question des techniques et des sciences. Les modifications de notre rapport au réel, à la subjectivité et au corps par les techniques et les sciences sont des axes centraux dans sa recherche-création. La transversalité disciplinaire lui permet d’interroger plus largement les processus de création et les transformations des représentations que participent à véhiculer les arts. Dans la volonté de raviver la dynamique des relations art-science qui sont deux manières fondamentales d’appréhender le réel, elle co-fonde et préside depuis 2016 l’association Passerelle Arts Sciences Technologie qui œuvre dans le rapprochement de ces disciplines et elle est impliquée également dans la Transversale des Réseaux Arts Sciences. Anne ASENSIO a occupé pendant 30 ans différents postes exécutifs et de management du design dans l’industrie Automobile, Directrice Générale chez General Motors en charge du Design dRMANDes (huit marques du groupe), et Renault Directrice du Design pour les gammes Twingo, Clio, Scénic… Anne Asensio rejoint Dassault Systèmes en 2008 en qualité de Vice-Présidente Design Expérience.  Elle y crée la fonction « Design » de Dassault Systèmes et le Design Studio, rassemblant une équipe multidisciplinaire en stratégie d’innovation par le design, Design de l’expérience, « d’Up Stream Thinking » de recherche en design, de design management et conseil. Prônant une approche participative au regard des nouvelles technologies et des univers virtuels, le Design Studio accompagne les clients de Dassault Systèmes au sein de secteurs industriels en forte croissance dans leurs besoins en transformation, en innovation digitale et durable, vers de nouveaux business modèles pour une économie circulaire, vers des processus de conception vertueux, comme manifestation de leur proposition de valeur auprès de leurs clients ultimes. Imaginant des scénarios alternatifs pour transformer le monde dans lequel nous vivons en un monde plus durable et souhaitable, le studio engage la réflexion, l’expérimentation et la confrontation des approches croisées entre le social et les technologies par la création et, finalement, l’installation de la valeur du design pour le bien-être des utilisateurs, des citoyens et de la société. Anne Asensio est également chevalier de la Légion d’honneur et officier de l’ordre du Mérite. La question essentielle qu’elle pose avec Edwige Armand est la suivante : « En quoi, l’alliage art-design-science-industrie contient en lui des « possibles » qui permettraient d’imaginer des récits alternatifs aux scénarios techno-centrés en vigueur, de constituer un nouvel écosystème paradigmatique afin de reconstruire une manière durable d’habiter le monde ? » Les auteures y répondent point par point au travers de diverses manifestations art-science-technologie en abordant les plateaux créatifs comme modèles de collaboration, de médiateté et d’engagements entre artistes-technologues-scientifiques-designers-industriels. Dans ce cadre, elles interrogerent la place et le rôle du design comme processus et pensée pour interroger le point aveugle de l’apport art-science à l’industrie et réciproquement identifier ce que fait l’industrie à l’art et aux sciences.

L’EAU MULTIPLE, ENTRE ART ET SCIENCE

Stéphanie REISS est artiste et scientifique, vit et travaille à Bordeaux. Ses photographies soulignent à quel point la nature est une ressource précieuse, mettant en valeur la beauté de l’eau. Son travail de photographe est exposé au Festival International des Photographes de la Mer, à l’Institut Océanographique, à la Corderie Royale, au Cap-Sciences, et fait également partie de plusieurs collections d’art privées. Elle a récemment publié un magnifique livre « Eau, un regard et des mots » aux Editions de La Martinière. Son livre est honoré par la préface écrite par S.A.S. le Prince Albert II de Monaco. De nombreux scientifiques (Pierre Léna, Jean-Pierre Luminet, Yves Quéré, Vladimir Ryabinin…) et artistes (Anne Queffélec, Carolyn Carlson, Jean Letourneur, Jean-Paul Agosti, Jean-Claude Ellena….) y apportent leurs textes inédits en écho aux photographies poétiques de Stéphanie Reiss. Ses écrits artistiques sont publiés dans plusieurs magazines (Atlantica, Phréatique) et dans les livres d’artistes du peintre Jean-Paul Agosti. Elle est également l’auteure du livre « Les mains du vin » paru aux éditions Féret. Elle est impliquée dans le biomimétisme et actuellement en charge de la protection de l’environnement (réchauffement climatique). Ingénieur chimiste (INSA). Consultante en marketing-innovation et conférencière auprès d’écoles d’ingénieur (Ismans, Les Mines Nancy, ENSCPB). Manager à l’international pour l’industrie de la chimie. Commissaire (conception et réalisation) des expositions « Entre Art et Science, la Création » au Palais de la Découverte (Paris) et à l’Institut de France parrainées par le prix Nobel Pierre-Gilles de Gennes et par le compositeur et Chancelier de l’Institut de France Marcel Landowski ; avec la participation notamment de Jean-Pierre Luminet, Jean-Paul Agosti, Michel Cassé, Etienne Klein. Parlant à la première personne, elle nous enjoint dans cet article à partager un voyage initiatique que maints auteurs ont empruntés dans son livre « EAU, Un regard et des mots » (La Martinière, 2021) dont vous trouverez la recension  sur notre site : « Je suis le cycle qui ne finit pas, l’origine, votre nécessité vitale, la source de l’émerveillement, je suis l’Eau multiple. Je frôle l’infiniment grand, parle à l’infiniment petit, je suis l’intention de l’univers. Je suis cette énergie mouvante portée par notre planète bleue. Je suis le passeur de Vie, la source de votre Humanité. » Ainsi pourraient être les mots que nous adresse l’Eau selon l’auteur dont les photographies offrent une vision poétique de l’eau à laquelle des artistes, des scientifiques et des ambassadeurs de l’environnement associent leurs textes qui émerveillent ou questionnent. Et si une poésie du réel nous permettait de réenchanter notre monde? 

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