Plastir n°17 – 12/2009

EN DEUX MOTS : LA CRÉATION

Gladys FABRE est écrivain, historienne et critique d’art. Commissaire indépendant, elle a aussi contribué à l’élaboration du film Orlan, Carnal Art dont le critique Gérard Delorme dit  » (…) Orlan appartient à un autre millénaire, où quelques artistes et adeptes de la science-fiction imaginaient l’avenir en jouant avec la notion de transhumanité. » (Première). Elle se livre dans ce travail à une analyse en profondeur du travail scriptural réalisé pour l’exposition Wordwork par Joëlle Dautricourt, graphiste et sculpteur à Paris, dont nous publierons ultérieurement les recherches. Wordwork signifie littéralement mot-œuvre, autrement dit que le mot est matière à œuvre, qu’il travaille comme il est travaillé, qu’il est une véritable entité plastique. Gladys Fabre montre ainsi très bien comment l’artiste utilise les configurations de ses tampons Wordwork dans le but de changer les niveaux de lecture, de passer de la forme au contenu et vice-versa en jouant sur les assonances ou les effets visuels. Cependant, plus on pénètre cet univers graphiste, plus on s’aperçoit qu’il nous mène à d’autres langages, à d’autres mondes, à la révélation du mystère scriptural per se. On est pris dans une spirale conduisant à entrevoir le mysticisme de l’écriture, à lire ce message au travers d’une sensibilité féminine inscrite dans la tradition de la Kabbale, comme Gysin – cité par l’auteur – s’inscrit dans le soufisme. Le « peuple du livre » ne peut manquer ce rendez-vous… Sur le plan de la création artistique, Gladys Fabre relève que la démarche de Joëlle Dautricourt ne s’inscrit pas dans la déconstruction comme le surréalisme ou le mouvement ou l’ultra-lettrisme, mais dans une démarche d’ouverture; les mêmes moyens (la photocopieuse) y étant employés à des fins opposées, ici la recherche d’un nouvel espace de déploiement, de nouvelles dimensions ou strates plastiques. Le résultat en sera d’autant plus percutant, différent qu’il géométrise les formes, les couleurs, les mots, la chromatique – réelle ou imaginaire -, le sens, la poétique avec cette distance, cette féminitude propre à la gestation de l’œuvre d’art.

DEUX PIANOS PRÉPARÉS : QUATRIEME PARTIE – TRANSPOSITIONS METAPHYSIQUES

Mariana THIERIOT LOISEL est coordinatrice de la Faculté de Philosophie du Monastère de Saint Benoît à São Paulo au Brésil. Elle a réalisé un post-doctorat en philosophie de l’éducation à l’Université Laval au Canada sous la direction du professeur Thomas De Koninck centré sur l’étude des mutations humaines dont nous publions l’intégralité dans PLASTIR. La première partie de ce travail : « A l’ombre : désir et neutralité » a été publiée dans PLASTIR n°14, les seconde et troisième parties dans PLASTIR n°16. La quatrième partie traite cette fois de l’articulation entre la conscience du non intentionnel (évaluations erronées et accidents qui s’en suivent), les mutations humaines sensées (réévaluations justes), les actes de discours (codes éthiques formels et non formels) et enfin la transposition métaphysique comme résultat de ces mutations humaines sensées. L’auteur donne maints exemples de cette articulation contextualisée qu’il s’agisse de politique avec les génocides ou la valeur du travail, du processus compétitif de la recherche scientifique, de la complexité des relations humaines ou du rôle des métaphysiciens et des philosophes contemporains face à leurs pairs. Une notion en ressort : plutôt que de chercher la vérité absolue, il vaudrait mieux favoriser « la mise en question du sens métaphysique de cette vérité et la confrontation rationnelle entre le texte et le contexte » et leur transposition. En découle cette lente mutation du phénomène humain « porteuse d’une réalité immanente » en amont « et d’une capacité transcendante: métaphysique » en aval traduite par « le langage, à la source de l’évolution humaine ».

DEUX PIANOS PRÉPARÉS : CINQUIÈME PARTIE – LEGISLATION, PLASTICITE ET MUTATION : AU NOM DU PÈRE

Mariana THIERIOT LOISEL introduit dans cette dernière partie la notion de plasticité des mutations humaines en l’appliquant au législatif, à la déontologie professionnelle et à l’éthique transdisciplinaire que nous essayons tous de promouvoir. Et cela passe une fois encore par l’approche phénoménologique, notamment avec Husserl, voire la psychanalyse sous l’égide Lacanienne afin de montrer l’impuissance de la science moderne face à ces mutations comprises comme topiques, insensées et sans fondements. Mariana Thieriot pose ainsi la question : « Quels sont les soubassements normatifs qui « impulsionnent » l’acte de discours ou l’absence de soubassements normatifs, de lien de fondation, de normes qui meuvent une logorrhée insistante, dénuée de fondements ? ». Pour y répondre, l’axiologie de Ricoeur qui cherche le sens des valeurs humaines au travers de sa sémantique ou la philosophie première d’Husserl opposant conscience intuitive et non intuitive, invitant à une neutralité d’action en tant que prise de position méthodologique et impliquant diverses formes de mutations conditionantes ou positionnelles. En ressort la nécessité urgente de codifier la déontologie professionnelle et la mutation sociétale plus généralement de façon à éviter les conflits éthiques qui ne cessent de se multiplier, et celle du respect de l’identité humaine et de la plasticité des principes démocratiques.

ADONIS ET LE TRANSRELIGIEUX

Basarab NICOLESCU est physicien théoricien et président du Centre International de Recherche et d’Etudes Transdisciplinaires (CIRET) qui œuvre incessamment pour la reconnaissance académique et culturelle de la transdisciplinarité à travers le monde. C’est chose faite, si on en juge les nombreuses institutions et facultés qui insèrent dans leurs programmes des mastères ou des doctorats transdisciplinaires (France, Roumanie, Brésil, Afrique du Sud, etc..). Auteur de nombreux ouvrages (cf. PLASTIR n°10), il vient de publier « Qu’est-ce que la réalité ? Réflexions autour de Stéphane Lupasco aux éditions Liber. Dans cet article issu d’un colloque sur « Eros et la langue arabe – Rencontre avec Adonis », Basarab Nicolescu nous convie en premier lieu au partage intime de sa rencontre à Damas ou à Paris avec le grand poète syrien Adonis, à la naissance de la divine comédie arabe (al-Kitâb), à la connaissance du philosophe Adonis aussi, proche dans ces conceptions de physiciens comme Bohr ou Heisenberg. Cependant, la trame du discours se dévoile rapidement : il s’agit d’une relecture éclairée de l’œuvre du poète montrant son caractère foncièrement transculturel et transreligieux révélant que « C’est l’être humain, dans sa totalité ouverte, qui est le lieu sans lieu de ce qui traverse et transcende les cultures et les religions » et non pas une culture ou une religion monothéiste qui prendrait le pas sur les autres. Cette approche visionnaire se concrétise vis-à-vis de la transcréation qu’Adonis aborde par le biais de l’écriture poétique vue comme une transgression et une connaissance essentielle à la fois, comme un lien privilégié entre les sciences humaines et les sciences exactes et enfin comme ce qui permettra la reconstruction du monde.

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