Plastir n°28 – 09/2012

BIOSÉMANTIQUE

Khaled AIT HAMOU est chercheur en biosémantique et a été directeur du département de linguistique de l’Université d’Abidjan entre 1982 et 1990. Il a notamment publié « Structure et typologie de la quantification dans les langues naturelles », Vol. 36, Fayard 1979, qui a été récemment numérisé par l’Université de Californie (2007) et a été un des premiers auteurs à contribuer à notre revue avec « Ma grand-mère est âgée de 12000 ans » [PLASTIR 2, 11/2005]. Nous y mettions déjà l’accent sur le caractère transdisciplinaire de la bio-sémantique regardant et traversant des disciplines telles que la biologie et la production du sens, la construction du langage, la cognition et l’évolution. Le paléolithique et le néolithique n’ont ainsi pas de secrets pour l’auteur qui les étudient sous l’angle neuroanatomique et hormonal, s’attachant en particulier aux stades ontogéniques caractéristiques du Sapiens pré- et post-pubère. Si notre jeune grand-mère avait la même vascularisation méningée que nous, c’est donc bien qu’elle nous a transmis les structures anatomiques cérébrales et laryngées nécessaires à toute production sémantique. Or, l’objectif de Kaled Aït Hamou est de montrer la pertinence et l’étendue de telles relations durant ces deux stades du développement cortical de l’Homo sapiens. Si le cerveau neural a la primauté lors du premier stade, c’est clairement le cerveau hormonal qui régit le second. C’est pourquoi, la compréhension de l’émergence du sens, et ses différentes expressions entre les primates et les hominidés et entre différents hominidés comme pre-sapiens et les néandertaliens, les Sapiens et les homo sapiens passe par une analyse des productions sémantiques au travers de la vascularisation cérébrale, mais aussi de la voix, des sonorités, des intonations, de la capacité de duplication de sons et de l’habilité à produire des notions sémantiques élaborées. L’auteur nous montre – démonstration logico-sémantique et schémas anatomiques des centres laryngés ou des structures corticales méningées et vascularisées à l’appui – que ce sont les connexions entre les modes de communication hormonale et neurale qui conduisent à l’émergence biosémantique. Plusieurs exemples linguistiques précis (segments sonores du langage) ou mathématiquement démontrables (généricités des opérations algorithmiques) seront employés à cette fin. De même, Aït Hamou décrit avec force détail, la relation entre les énoncés contrefactuels – où il se distancie de la sémiophysique de Thom – et la fabrication de l’outil ou encore l’implication des deux modes de communication hormonal et neural dans l’émergence de la conscience et des notions de contradiction (paradoxes de Russell et de Zénon) rencontrés dans les raisonnements logico déductifs. Il conclue sur l’impact de la contrefactualisation et des modes de communication hormonaux vs neuraux durant l’évolution, les hominidés précédant ou cohabitant avec Homo sapiens ayant un espace de contrefactualisation du cerveau hormonal restreint et étant donc dans l’incapacité d’édicter des lois ou de différencier les superlatifs. « Ce n’est, qu’après que la dynamique des connections entre les cerveau neural et hormonal se soit établie que le cortex émetteur a pu assumer la liaison entre très très grand et aussi grand que l’on veut. Cette liason est déterminante pour les mathématiques », dixit l’auteur.

ART ET SCIENCE, DEUX FAÇONS DE PERCEVOIR LE MONDE

Anne-Marie POCHAT, native d’Abidjan, est artiste peintre et scientifique de formation. Elle a notamment participé aux travaux du GLACS, groupe de recherche et de réflexion sur l’art et la science lié au Collège de France de 1988 à 1991 à Paris. Son œuvre, loin d’être scindée, de faire de la science de l’art ou inversement, est ainsi empreinte d’art et de science sans discontinuité : deux façons de voir le même monde. Ce croisement fertile a donné naissance à des oeuvres marquées par les origines de la vie – l’infiniment petit – avant sa rencontre avec l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet en 2001 où elle s’ouvrira à l’infiniment grand (PLASTIR 3, 06/2005). De nombreuses expositions suivront, notamment Aquacosmos et Cœur d’étoiles, Saint Denis de la Réunion (2001), Cadran solaire, Verrières le Buisson (2002), Rêve d’Univers, Saint Denis de la Réunion (2003), San Francisco (2005), Los Angeles (2006) et Naissance des mondes, Galerie Imagin’art, Sainte Rose (2008). Ses toiles nous plongent au coeur du mystère de la création, sans jamais le dévoiler. C’est à l’homme de faire le pas, de dépasser ses contradictions terrestres pour atteindre le sommet. « La science produit des théories et des concepts qui nous fournissent des outils pour expliquer le monde et essayer de le dominer » (de notre point de vue d’être humain) » nous dit-elle en substance, assimilant l’œuvre d’art à la manifestation singulière d’une perception du monde, à une conscience dont la science constituerait l’extériorisation, l’objectivation, et l’art, la part intérieure. Nous sommes cependant tous à l’intérieur de ce monde précise-t-elle. Quant à l’art, il « produit des formes mais n’est jamais retenu dans ces formes car son essence est la liberté. Il procède d’un envol de l’âme en dehors de l’espace ; il conquiert le temps ». Cette plasticité des formes correspond « à ‘quelque chose’ de manifesté par la nature et l’esprit de celui qui les crée. Elles sont une information à décrypter ». En résumé, pour Anne-Marie Pochat, le moteur de la création est dans cette recherche de sens, tandis que le moteur de la science réside dans la quête du savoir. Cependant, art et science se potentialisent dans toute acquisition réelle de connaissance, dans tout élargissement du champ de la perception. D’où le rôle fondamental de l’art dans la capture fulgurante de la matière et de la psyché qui s’y reflète : le rêve d’univers.

DELUOL: QUAND L’ESPRIT SCULPTE LA MATIÈRE

Marc-Williams DEBONO est chercheur en neurosciences, écrivain et rédacteur en chef de PLASTIR. Il a publié de nombreux ouvrages tel « L’ère des Plasticiens » (Aubin, 1996), dont le sous-titre : « De nouveaux hommes de science face à la poésie du monde » indiquait une voie. Celle de l’ouverture et du décloisonnement des disciplines, celle du Milieu aussi, si l’on s’en réfère aux leçons de l’Extrême-Orient, mais avec des sources et des nuances proprement liées au concept de plasticité qu’il s’attache depuis à redéfinir, autant sur le plan conceptuel que sur le plan pragmatique. D’où la fondation du Groupe des Plasticiens en 1994, puis de l’association Plasticités Sciences Arts, tous deux constitués d’un réseau de chercheurs transdisciplinaires et d’auteurs de renom, contribuant à asseoir cette nouvelle vision plastique du monde. L’auteur se livre ici à un exercice tout à fait inhabituel, fruit de la découverte par un après-midi caniculaire à Saint Michel en l’Herm en Vendée d’un musée-mémoire unique regroupant les œuvres du sculpteur André Deluol. De là naquit l’idée, – une fois n’est pas coutume -, de reporter ses fameuses « Etreintes de pierre » dans PLASTIR. Car Deluol m’apparût dès le premier coup d’œil comme un plasticien au sens où nous l’entendons, un homme qui a su dépasser sa condition d’artiste, sublimer les corps, et plus encore, qui a ressenti très tôt le besoin de tailler massivement dans la pierre sans autre intermédiaire que son esprit. Ce guide ultime, peu enclin à suivre les modes et les passions, si ce n’est celle des « proportions divines » de la Grèce Antique (Atalante, 1980, Rhéa, 1995), de Dionysos, qui donnent à l’oeuvre sa finitude, son existence même, l’emmena véritablement à magnifier la pierre, toute minéralité, afin d’en extraire la substantifique moelle. S’y épanouissent une extrême volupté, une extrême liberté sans jamais confiner au libertinage, une connaissance que l’on sait ne pas pouvoir être purement innée, mais qui dérive plus de l’intuition synesthésique, du toucher oral ou de la vision tactile, que de l’art de peindre ou de sculpter. A tel point que cette boulimie de la vie le conduisit à malaxer toutes sortes de matières : huile, marbre, granit, noyer, grès, bois africain, verre, onyx et pierres d’origines variées (de Chauvigny, de Richemont, de Brouzet, de l’Isère, de Bretagne, de Lorraine, du Gard, etc..) donnant des œuvres monumentales, des bas-reliefs, des statues ou effigies pour nombre de villes, ambassades, églises, musées (Petit Palais, Musée d’Art moderne de Paris, Musées d’Alger, d’Amsterdam), expositions ou monuments historiques. Au sortir, Adam et Eve (1929), Confidence (1934), Mary (1935), Bacchanale (1945), Adam et Eve (1983), Groupe 1986, Ivresse (1985), Enlacement (1989), Les nourritures terrestres & Le jeu (1991), Arabesque (1992), Le désir (1996), Les trois grâces (1999)… On ne peut tout citer. Ce qui frappe dans toutes ces sculptures, comme dans les premiers visages extasiés des peintures de Deluol, c’est la constance, la densité ou le fil rouge du plasticien. Cette aptitude qu’ont les grands sensitifs à incuber tout l’art venu d’ailleurs, en l’occurrence ici des Vénus callipyges du paléolithique à la statuaire Grecque, d’un Carpeaux, d’un Rodin ou d’un Maillol, en passant par l’art roman, le cubisme, l’expressionnisme et le surréalisme d’un Delvaux, ou encore venus de plus loin, l’art étrusque, africain, indien et asiatique, sans tenter d’en faire la moindre synthèse, mais en les faisant revivre au travers d’une expression unique et singulière, celle d’un esprit sculptant la matière sans autre intention que de la donner à voir.

SUR LES TRACES DE PATANJALI – UNE RELECTURE DES « YOGAS SÛTRA » XV À XX DE PATANJALI

Mariana THIERIOT LOISEL a été coordinatrice de la Faculté de Philosophie du Monastère de Saint Benoît à São Paulo au Brésil avant de faire un post-doctorat en sciences de l’éducation à la faculté de philosophie de Laval au Canada. Elle poursuit aujourd’hui ces recherches en philosophie dans les domaines touchant aux mutations humaines à Montréal au Canada. Fidèle collaboratrice de notre revue où elle a publié un grand nombre de ces travaux relatifs à l’éducation, à l’intentionnalité et la conscience ou encore à la condition de la femme, elle nous propose ici la suite de ses traductions et interprétations des « yogas sûtra » de Patanjali en sanskrit, dont la dernière remonte au numéro 20 de PLASTIR. Là, l’auteur nous montrait comment la méditation donnait du sens à l’imaginaire, Vikhalpah (Sutra IX), comment cet imaginaire était indenté à nos mémoires et nos expériences, comment il pouvait mener au déni, voire à « l’expérience d’inexistence » (Sutra X). Les enseignements de Patanjali la guide aujourd’hui vers une pratique harmonique et rituelle du yoga (sutra XIV), en prenant cette fois comme maître-mot la conscience « dépassionnée » que l’on doit à samjna vairagyam. Un état nécessaire aux brahmanes afin de surseoir aux passions du corps comme à celles de l’esprit et d’être présent à la méditation, « un état de vacuité où rien ne vient détourner l’esprit de son effort de connaissance ». Le sutra XVI nous indique qu’au niveau supérieur à Vairagya (maîtrise de soi, dépassionnement) se situe Vaistrynia (la transcendance) et qu’il existe différents degrés de renoncement pour y parvenir. Et l’auteur de nous situer cette action de transcendance des propriétés de la matière comme étant le meilleur moyen de connaître l’esprit et l’action qu’il exerce sur nous. Tout se passe comme si il fallait à tout prix stopper ce bruit rémanent qui envahit notre mentalité, et peu à peu remplacer les représentations incessantes que nous nous faisons de la réalité par une méditation sur leur signification propre. C’est seulement à ce prix que l’on pourra atteindre la présence à soi, se dépasser. Le sutra XVIII nous invite quant à lui à découvrir l’illumination, sinon rimbaldienne, intimement liée à « une pratique intense d’une méditation sur les impressions résiduelles (issues du passé) ». Illumination ou « enstase » qui s’atteint au travers d’une spiritualité arrivée à maturité, autrement dit reliant les trois pôles de l’énergie, de la connaissance et de l’intuition (Sutra XX).

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