Plastir n°16 – 09/2009

«ADVIENNE QUE POURRA!» EMPATHIE ET NEURONES MIRROIRS : L’ŒUVRE THÉRAPEUTIQUE DU CLOWN INTÉRIEUR

Fernand DENDONCKER est depuis plus de trente ans médecin-chef de l’Hôpital Psychiatrique Saint Jean de Dieu à Leuze-en-Hainaut, Belgique. A la suite des évènements de 68, Il sera objecteur de conscience et amené à pratiquer la médecine générale dans un énorme hôpital psychiatrique d’état y faisant l’expérience déterminante des conséquences délétères sur les patients des incohérences institutionnelles non gérées. Cela l’engagera à poursuivre un cursus complet de psychiatrie, les approches de psychothérapie systémique de M. Elkaïm, ainsi qu’une formation à la psychothérapie analytique de C.G. Jung donnée par le professeur J.P. Legrand. A Zurich, il rencontrera notamment le Professeur Meyer, disciple direct de Jung, et le Prof. A. Guggenbühl-Craig, secrétaire de l’Internationale jungienne. Il poursuivra sa formation psychanalytique chez Pierre Solié. Dans le cadre de la Société de Psychanalyse Charles Baudhuin, il présentera plusieurs conférences. Epinglons : « A la croisée du sentiment jungien et des senteurs d’Oc, la pensée transhistorique de Pierre Solié » (1987), « La drève du château, méditation péripatéticienne en compagnie de Kafka » (1991), « Le coeur divin, du souffle à la tempête » (1993), « Entre soi niant et soi nié, dans les limbes du Soi » (1995). Intervient aussi dans des colloques sur l’Art thérapie et les médiateurs d’expression : « L’encadreur encadré », autour de la notion de cadre thérapeutique (1999). Au sein de l’Hôpital Psychiatrique Saint Jean de Dieu, Il développe aujourd’hui un concept de psychothérapie institutionnelle centrée sur l’ambiance thérapeutique, qu’elle favorise la cohérence des soignants ou qu’elle fasse synthèse chez les soignés. Cette préoccupation centrale fut résumée dans un exposé donné en 2006 à Bordeaux, à l’occasion du Congrès International de Gestalt et repris dans le cahier 21 du Collège Européen de Gestalt-thérapie sous le titre évocateur : « Le chœur soignant : une esthétique de la cohérence thérapeutique en institution ». Ouvert dès l’enfance à la diversité des valeurs, soucieux de développer des collaborations au-delà des options philosophiques, il entretient des relations avec les deux universités principales du pays depuis ses études et devient maître de stage pour la formation des psychiatres issus tant de l’Université Catholique de Louvain que de l’Université Libre de Bruxelles. Organise depuis 1982 une biennale scientifique : Mentalidées, qui a reçu en 27 ans bien des sommités psychiatriques et philosophiques, un cycle de conférences annuelles : Chemin Psy, et un séminaire clinique. A présenté, dans ce cadre, des exposés qui portaient plus sur l’organisation et la méthodologie, par exemple : « Le manque dans tous ses états » (1993), « Etre vraiment là, faire chœur autour de la maladie, un nouveau concept » (2003), « La thérapie institutionnelle d’appropriation : quand Monsieur Jourdain fait du réseau » (2005), « Le réseau permet-il une synthèse éthique de l’économie et du traitement ? » (2005), « La vigilance étiologique, préambule du traitement psychique » (2007). Administrateur aux Chambres syndicales des Médecins, il obtient au Conseil d’Etat la suspension de la loi sur le Résumé Psychiatrique Minimum. Depuis 1996, explore l’espace entre l’exigence scientifique médicale, les interactions complexes institutionnelles et l’expérience empirique jubilatoire du clown, avec l’espoir d’y faire synthèse utile. Initie en 2007 un groupe thérapeutique issu de ses recherches et en présente les bases dans un exposé donné en 2008 portant un titre voisin de celui que nous avons l’honneur de publier en exclusivité dans PLASTIR. Et en effet, c’est un privilège, car nous assistons ici dans un article fouillé, précis, méthodologique et anecdotique en même temps, à toute la genèse de cette approche thérapeutique, aux pas gigantesques qu’a du accomplir Fernand Dendoncker pour dépasser ses souffrances, pour dépasser les clivages, pour saisir l’intuition géniale du clown C. Moffarts et l’intégrer dans sa pratique psychothérapeutique, pour l’adapter à la psychiatrie et aux soignants eux-mêmes. Mais l’auteur ne se contente pas de relater ces expériences individuelles ou de groupe, il implique le lecteur, le mène vers l’éveil psycho-corporel lui aussi, l’ouvre à de nouvelles perspectives, tant sur le plan psychodynamique que philosophique. La science n’y est pas en reste car F. Dendoncker tire aussi parti de la découverte récente des neurones miroirs et de leur rôle avéré dans l’empathie pour rebondir sur cet important trait de la conscience primate et humaine. Citant Damasio, il revient ainsi au clown et à son rôle central, bouclant la boucle et notre cheminement : « – Le système sensorimoteur intervient dans la reconstruction de ce que l’on ressent lorsqu’on est dans une émotion particulière au moyen de la simulation des états corporels en rapport avec l’émotion -. Nous verrons que le clown fonde depuis toujours son art sur ce processus. »

DEUX PIANOS PRÉPARÉS : DEUXIEME PARTIE – CONSTANCE OU MUTATION : LES DÉFIS DU CONTEXTE

Mariana THIERIOT LOISELest coordinatrice de la Faculté de Philosophie du Monastère de Saint Benoît à São Paulo au Brésil. Elle a réalisé un post-doctorat en philosophie de l’éducation à l’Université Laval au Canada sous la direction du professeur Thomas De Koninck dont elle nous donne la primeur. La première partie de ce travail : « A l’ombre : désir et neutralité » a été publiée dans PLASTIR n°14. Comme nous l’avions indiqué, son titre, « Deux pianos préparés », est issu d’une composition de John Cage « concerto pour piano préparé » qui passe par toutes les saisons et se termine par un autodafé : l’interprète, un compositeur oriental brûle le piano. Mariana Thieriot met ainsi l’accent sur la part inévitable de destruction dans la production d’une œuvre et sur celle qui survit grâce à l’autre piano. Plus généralement, l’intégralité de ce travail de post-doctorat dont nous présentons ici les deuxième et troisième parties est centré sur la notion de mutation humaine et tout ce qu’elle entraîne en termes de contexte, d’introspection, de recherche, de mythe, de discours, de regard et de mobilisation. Dans cette seconde partie, elle entre en philosophie dans une implication première –autobiographique – et avec l’ambition clairement affichée « d’établir une relation qui permette la circulation de sens du texte au contexte ». Cette inflexion se poursuit sous l’égide d’Habermas, tant sur le plan du langage, du vécu que d’un monde commun permettant de se soustraire aux totalitarismes. Sur le plan de l’intériorité, ce sont le pathos et les affects qui sont fouillés par le biais de l’apport de Michel Henry interrogée face à Heidegger ou aux philosophies post-modernes. « L’affectivité n’est comprenante que parce que le comprendre est affectif et dans la mesure où il l’est. Parce que le comprendre est affectif, affectif est aussi ce qu’il comprend, le monde lui-même et son horizon », dixit Henry. Cependant, l’auteur nous dit bien « qu’il ne s’agit pas de nier les apports de Habermas sur la nécessité de développer la présence impalpable de la raison humaine à l’aide de ces outils logiques que sont les opérations mentales : induction, déduction, abduction, dialectique, mais de contextualiser cet apport ». Cela implique un territoire neutre, au sens de Barthes, et pose la délicate question du transfert médiatique de ces concepts neutres au travers de territoires comme l’Afrique du sud. Une des solutions évoquées par l’auteur pour endiguer ces barrages réside dans la libre circulation des fruits de la recherche et le développement d’échanges transdisciplinaires à travers le monde.

DEUX PIANOS PRÉPARÉS : TROISIÈME PARTIE – UNE MUTATION IMPROMPTUE : SENS, TEXTE ET CONTEXTE

Mariana THIERIOT LOISEL, tout en nous défiant de céder au nihilisme, aborde dans cette troisième partie le cœur du sujet : « Je fais l’hypothèse que cette interaction entre une intention et une volonté consciente et un désir inconscient apparaît sous le mode d’une évaluation et que cette évaluation peut rendre possible la mutation humaine », dixit l’auteur. Nous voici donc plongés dans les liens inextricables entre affects, désirs et sur- ou dé-valuation, tous traits de caractères spécifiquement humains, donc faillibles, et à la base d’une éthique discutable, voire usurpatrice au sens de Barthes, c’est-à-dire par une tentative de « substituer la vérité par le mythe ». Seule échappatoire à ce piège redoutable : la création « d’une éthique de la compréhension » prônée par Edgar Morin dans la Méthode ou par une tentative de « réconciliation du réel et des hommes, de la description et de l’explication, de l’objet et du savoir » selon Barthes. Mariana Thieriot en vient donc avec Habermas, Michel Henry et à l’aide de nombreux exemples tels la sculpture de Giacometti, l’astronomie de Galilée ou les mathématiques de Leibniz à se poser la question du sens véritable de la vérité, de la structure interne du sens, à ce qu’ils masquent ou dévoilent et à la nécessité de situer ponctuellement le contexte non intentionnel d’une mutation humaine.

LES TREMPLINS DE L’INCERTITUDE

Maurice COUQUIAUD est poète, essayiste, ancien rédacteur en chef de la revue polypoétique PHRÉATIQUE dans laquelle il a publié nombre d’écrivains et de scientifiques de renom et membre du CIRET. C’est dire qu’il est un fervent défenseur des valeurs transdisciplinaires et un auteur prolixe. Parmi ses ouvrages, de nombreux recueils de poésie passionnants tels « Chants de Gravité », L’Harmattan, 1996 ou « L’éveil des eaux dormantes », Le Nouvel Athénor, 2006 et des essais tels « L’étonnement poétique: un regard foudroyé », L’Harmattan, 1998 et « L’horizon poétique de la connaissance », L’Harmattan, 2003. Ces deux derniers titres soulignent à grand trait la démarche poét(h)ique de l’auteur: demeurer sans cesse étonné et ouvert sur le brassage des idées et des hommes. D’où sa soif de connaissance des découvertes les plus pointues de la science et son analyse en profondeur de la pensée philosophique contemporaine. Ainsi, la rédaction de ce journal écrit en 2004 dans lequel Maurice Couquiaud disserte au jour le jour sur ses lectures, sur sa participation à des colloques, sur ses libres pensées ou sur ce que lui inspire certains poèmes. On est pris dans le voyage dès la première citation d’Hubert Reeves indiquant la nécessité absolue de pratiquer la science et la poésie de front, sans disparité, sans scission absurde et sans mélange des genres. C’est ensuite l’univers de Cioran qui est revisité sur le plan de ses positions face au scientisme, à la culpabilité, au nihilisme et à la métaphysique s’achevant sur cette ode réconciliatrice de Supervielle :
« Le soleil connaisseur qui nomme et qui dénombre.
                                        Remet sa part de jour à ce qui sort de l’ombre »

Suit un plaidoyer sur « la face cachée de la recherche » et cette fameuse incertitude intégrée depuis l’avènement de la physique quantique que Basarab Nicolescu aborde sur le terrain vierge de la « transnature » et Jean-Pierre Luminet sur le plan des « univers chiffonnés ». Enfin, c’est naturellement l’univers des poètes qui est arpenté par l’auteur à l’aide de Random, Gilbert-Lecomte et René Daumal dans son évocation de la lente ascension de la conscience humaine.

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