VIRGINIA WOOLF : COMPLEXITE, PLASTICITÉ, IDENTITÉ
Adèle CASSIGNEUL est professeure agrégée d’anglais à l’université de Toulouse Jean Jaurès. Elle a soutenu une thèse sur l’influence de la photographie et du cinéma dans l’œuvre de Virginia Woolf et publié de nombreux travaux sur Woolf et sa relation au texte, à l’image, à la poétique et à la représentation, notamment esthétique, iconographique (cinématographique et photographique), littéraire et langagière. Elle pose ici d’emblée l’identité woolfienne : « l’importance de cette double liberté d’écriture et de pensée est cruciale pour aborder la plasticité dans l’œuvre littéraire d’une femme indépendante au début du XXe siècle. Car sans elle il ne peut y avoir de libre énergie créatrice, à la fois expérimentatrice et porteuse de nouveauté. ». Virginia Woolf était en effet moderniste au point de fuir tout matérialisme littéraire et de vouloir profondément « rénover la littérature du XIXe siècle dont elle héritait ». Elle s’attelait à capter tout l’insaisissable et la complexité du monde au travers de la photographie, de l’image et de la littérature, montrant par là (à propos de la transfiguration de Mrs Ramsay) « qu’il y a <une> réversibilité plastique par laquelle l’être crée un moment unique, un moment d’être qui est à la fois création d’un monde poétique imaginaire, un tricotage de diverses bribes textuelles, et épiphanie mentale. » D’où la forte identité plastique des textes woolfiens, qu’il s’agisse du cinématisme du verbe, de « l’imagéographie » qu’Adèle Cassigneul décrit comme une activité intermédiale, « une écriture à la fois nourrie d’image et imageante » ou « traversée d’images », de la lecture qui « réinvente le texte, le fait scriptible » ou encore des images « perçues par l’œil de l’esprit » qui nous permettent d’ouvrir « un troisième lieu plastique, à l’interface du monde, du texte et de l’être ». Lieu « de trans-action à l’œuvre au sein de l’identité plastique des êtres », et plasticité reliée par l’auteure « à ce que Woolf appelle les « moments d’être » (moments of being) ». Le texte est ainsi identifié comme un dispositif complexe dans le sens où il ne se contente pas de mettre en jeu une plasticité inhérente à la prose ou à la poésie du récit et de son iconicité, mais inclut des motifs et des stratégies de représentation réformatrices et reformatrices (à propos de l’apport de la photo-cinématographie au texte woolfien). D’où le rôle crucial joué par la Hogarth Press dans l’intégration des images en texte chez Woolf et la structuration filmique qui en a suivie, tantôt pérénisant, tantôt mémorisant, tantôt dilatant l’espace-temps conscienciel, fortement identitaire, mais aussi collectif (mise en scène de personnages réels ou fictifs, historicité) donné à voir au travers de l’œuvre en construction.
Hubert REEVES a été conseiller scientifique à la NASA dans les années soixante. Astrophysicien de renommée internationale et directeur de recherches au CNRS, il a été professeur associé au Département de Physique de l’Université de Montréal et a mené des recherches sur l’origine de l’univers, des éléments chimiques et du système solaire au sein du service d’astrophysique de Saclay. Il est actuellement président de l’association Humanité et Biodiversité qui prône des valeurs essentielles liées à la protection de l’écosystème, des espèces naturelles, du patrimoine et de la biodiversité en préparant la transition écologique. Cet engagement éthique, philosophique et scientifique est totalement cohérent avec l’action constante d’Hubert Reeves en faveur de la compréhension des mécanismes intimes régissant la planète, le système solaire, et au delà le champ cosmique universel. Mais au delà de ses recherches en astrophysique, nous connaissons tous Hubert Reeves le conteur et l’extraordinaire passeur de sciences (spectacles audiovisuels comme « L’univers au fil de l’eau » ou « Mal de Terre », nombreuses émissions TV comme La nuit des étoiles, etc… C’est également un écrivain prolixe, qu’il s’agisse de chroniques, d’écrits littéraires et de livres célèbres comme Patience dans l’azur (Editions du Seuil, 1981), Poussières d’étoiles (Le Seuil, 1984), Malicorne et L’heure de s’enivrer (Le Seuil, 1986) et plus récemment : L’univers expliqué à mes petits-enfants (Le Seuil, 2011 et Là ou croît le péril…croît aussi ce qui sauve (Le Seuil, 2013). Ce que nous avons choisi de vous présenter dans PLASTIR est un côté plus intimiste d’Hubert Reeves, lié à son histoire, ses conflits intérieurs et l’origine de ses passions. Confessions faites lors de la parution de « Je n’aurai pas le temps » (Le Seuil, 2008), qu’il reprend ici, avec force citations illustrant les sources – son enfance au Québec, ses premiers émois et son amour face à la nature -, et ses profondes interrogations face à la science, la religion et le mystère qui nous entoure.
ADHÉRER AU PRÉSENT. LA PARTICIPATION AU SERVICE D’UNE ESTHÉTIQUE DU CONTEMPORAIN
Julien VERHAEGHE est enseignant, critique et docteur en esthétique, sciences et technologies des arts. Il mène des recherches dans le champ de l’art contemporain et de l’esthétique en les interrogeant, non pas sur ce qui les rattache au beau, mais sur « ce qui se rapporte à tout régime d’interaction et de visibilité ». Il a notament publié, outre de nombreux articles ou études critiques (http://artetcaetera.net, « Photographie, média et capitalisme », L’harmattan (2009) en co-direction avec François Soulages et « Art et flux : une esthétique du contemporain », (L’Harmattan, 2014) qui interroge la plasticité du flux et de l’acte esthétique contemporain. Dans cet essai, il s’interroge sur les pratiques de l’art contemporain et les rapports que l’homme entretient avec la technoculture et les nouveaux médias. Un rapport entre l’homme, la technique et les arts qu’il qualifie de dématérialisé, d’adaptatif et de participatif, mais surtout comme définissant « une ère dévolue à une forme de « fluidité » ou de flux dans les rapports humains, soulignant la profusion sans précédent des informations qui transitent aussi bien que le nombre de protagonistes impliqués ». « L’une des conséquences que suppose la participation en art… », nous dit-il alors en substance, « …est qu’il ne s’agit plus d’insister sur une interaction bilatérale entre un émetteur et son récepteur, mais sur la participation d’une communauté d’individus. En cela, l’esthétique du contemporain s’en trouve bouleversée, car elle s’est adaptée. » Autre rapport modifié, celui des réseaux sociaux, des techniques de communication ainsi que de la démultiplication d’échelle (géographique comme socioculturelle) qui « suppose une esthétique complexe et systémique, une esthétique nourrie de « confusions » comme l’écrit Rancière car les composantes qui la constituent, en plus d’être innombrables, sont irrémédiablement distinctes les unes des autres. » Julien Verhaeghe, dont le sujet d’étude est l’esthétique du contemporain, décrit ainsi les conséquences palpables de cette interconnexion permanente, de cette massification de la consommation et de l’échange d’information en temps réel sur l’art sociologique. Une massification et une complexification de terrain ayant deux versants : le développement d’un individualisme social poussé et à l’opposé celui d’une participation accrue ou « d’une jouabilité » prometteuse selon Boissier au regard de cette complexification ou de cette intelligence collective comme des nouvelles pratiques qu’elles imposent. Au sortir, davantage de libre arbitre, de reconfiguration, de participation, de réalité augmentée, en bref de créativité, comme autant de jalons de ce nouvel Art Sociologique.
Abdelkader BACHTA est épistémologue et professeur de philosophie à l’Université de Tunis. Parmi ses récents ouvrages : « Thom et la modélisation scientifique » (L’harmattan, 2013) et « La modélisation scientifique et ses fondements » publié en langue arabe (MtL éditions, 2015). Dans la lignée de ces précédents essais, tous publiés dans PLASTIR (27, 06/2012; 29, 12/2012; 32, 09/2013; 38, 03/2015), analysant la modélisation ainsi que les positions théoriques ou épistémologiques du mathématicien René Thom par rapport à d’autres chercheurs comme Lemoigne ou Tarski, il nous délivre ici un portrait unique sur les rapports thomistes à la philosophie. Ces rapports sont propres à la démarche du savant qui relie sans cesse sa spécialité mathématique à la topologie différentielle, à l’épistémologie et à l’analyse spéculative, contrairement à Zeeman. Recherche des fondements (dans Topologie et signification), interrogation fondamentale ou phénoménologique sur les notions d’espace, d’universalité, de catégorie, de rapport entre les mathématiques et la réalité. Rapports toujours distanciés des approches philosophiques classiques, qu’il s’agisse des présocratiques Platon et Aristote, de la philosophie du 18ème de Kant ou encore des approches de Comte et d’Heidegger. Distance qu’Abdelkader Bachta, suivant Paty à propos d’Einstein et Le Ru à propos de d’Alembert, assimile à un refus catégorique de « la systémisation de la pensée » chez Thom caractéristique des vrais « créateurs de science » à l’image de Cantor ou d’Einstein. Refus essentiel dans l’analyse sémantique thomienne qui fuit le formalisme logique lié aux « disciplines sémantiques contemporaines » et en appelle à la géométrique et à « l’intuition du continu pour dégager la vraie signification du signifiant ».