Plastir n°31 – 06/2013

DE LA NATURE DES SCIENCES

David LEVRAT est devenu ingénieur en génie civil et en mécanique des fluides après une formation à l’Université McGill de Montréal (Canada) et à l’ENSEEIHT de Toulouse. Parallèlement à ces activités d’ingénieur conseil en hydroélectrique, actuellement menées en Ouganda, et à des pérégrinations en Asie du sud-est, il cherchait selon ses propres dires « un éditeur entre deux barrages… ». Cet euphémisme cache en réalité un travail de recherche conséquent dans le champ croisé des sciences et de la philosophie intitulé « Intuition » qui appelait implicitement son intégration dans PLASTIR. Ce projet transdisciplinaire aborde plusieurs volets dont les sciences, les arts, l’être, l’éthique ou l’économie. Nous en délivrons ici la part relative à la nature des sciences. Que nous dit-elle en substance ? Que « la monade des sciences peut être appelée Nature. Intrinsèquement, la Nature est fendue en deux, en Physique et en Métaphysique. La Physique est la part existentielle de la Nature, celle qui se manifeste selon un temps spatialisé, une dimension, et est intelligible ; elle se lit et se compte. La Métaphysique est la part essentielle de la Nature, celle qui est hors de toute forme de temporalité…. L’élément de déséquilibre de la Physique est la Psychique, qui désigne ce qui se conserve selon une certaine dimension, qui offre une forme d’identité manifeste, une loi dans le temps. Le mouvement des Sciences, c’est celui de la Métaphysique vers la Physique. L’interface Psychique se déplace, elle suit le mouvement de la vérité, de la part de réalité qui est vécue. L’épistémologie, c’est la mémoire des passages effectués au niveau de cette frontière épaisse des choses de la Nature. Sur la face Physique de l’interface, on trouve la Biologie et sur la face Métaphysique ou peut-être exactement dans l’interface on trouve la Psychanalyse… ». On découvre là le ton de l’ensemble des réflexions logico-déductives qui vont suivre. Chaque discipline, aire, segment, sous-section y est méthodiquement, chirurgicalement, quasi-organiquement détaillé, avec à chaque fois une ouverture aux accents lupasciens vers un nouveau champ épistémologique. En voici un aperçu. La nature physique: le temps serait « un rapport de désorganisation d’une monade vis-à-vis d’une autre », la thermodynamique « un dialogue entre le quantitatif et le qualitatif » dont la « masse-énergie se transfère objectivement, inexorablement, du macroscopique vers le microscopique », une information dont « la débauche de qualité a permis l’émergence statistique d’un quanta de vie, qui coupé en deux se multiplie. De l’autoréplication quantique à l’autoréplication mésoscopique ». La nature biologique: « La vie est un gâchis du gâchis ; elle gâte le changement, minimise la permutation. Elle le règle et l’empêche de se réaliser aussi parfaitement que possible. Tant que nous n’aurons pas trouvé l’Idée, on sera alimentés de surproduction objective… Dans le sens de l’évolution, il est raisonnable de penser que la perte apparente d’information vitale soit compensée par une certaine créativité, par une nouvelle dimension semi-indécidable, la pensée ». La nature psychique: « Le monde de la pensée grandit comme un arbre en développant ses branches pour toujours s’équilibrer : à partir du chaos surgissent toutes les branches de dimensions, masses, énergies, vies qui s’engendrent elles-mêmes dans un va-et-vient de regards ; cette valse les entraîne dans un tourbillon de matière et un déluge d’énergie, embrasse la vie, enfin ferme les yeux de la pensée… La mémoire, c’est un pli du temps, un mascaret ralenti qui s’installe en rivière et se déplace à la même vitesse qu’elle mais en sens contraire : elle est tout à fait synchronisée avec le temps subjectif. » – A propos de la psyché, Jung & Freud : « Le dialogue entre les deux pourrait être facilité autour d’une table, entre les affects de la nutrition chez Freud et de l’incorporation chez Jung. Jung a l’intuition de l’incarnation, une sorte de prémonition. C’est un poète sérieux. Jung pourrait s’intéresser non pas à l’apparition de la sexualité, mais à celle de la parole. Jusqu’à la parole, nos rêves sont nos prémonitions. Durant cette période, avant de nous focaliser, la vie éveillée est imaginée de flux incohérents ». La Métaphysique: « Tentons de construire, en partant de rien, ce qu’il y aurait de plus grand. Ce serait d’abord une distinction, puis une distinction de distinction, une dimension, puis une dimension de dimension, un espace. Enfin, un méta-espace. Le méta-espace, c’est un ensemble de points partout à la fois dans l’espace, dont toutes les combinaisons sont réalisées, affichées ». – A propos du temps, Bachelard & Bergson : « L’intuition de Bachelard, c’est que le jeu de la vie est, malgré tout, un miroir de la vie. C’est exact, mais seulement si on accepte de perdre une nouvelle dernière chose. Une chose que Bergson ne pouvait accepter. » L’attitude Zen: « La fin de la compréhension, c’est la conscience occidentale. La fin de la science, c’est la conscience orientale, c’est le shiki, que je me risque à traduire improprement par zen ».

CONSIDÉRATIONS ÉPISTÉMOLOGIQUES SUR LE CONCEPT DE SENSE DATA : ESQUISSE D’UNE PROBLÉMATIQUE RUSSELLIENNE DE L’APPARENCE ET LA RÉALITÉ CHEZ BERTRAND RUSSELL

Auguste NSONSISSA est philosophe, Maître Assistant (CAMES) et Enseignant-chercheur à l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville (Faculté des Lettres et des Sciences Humaines). Il a également été chercheur associé au centre Edgar Morin« . Outre de nombreux essais en revue sur la philosophie d’Aristote ou de Leibniz, il a notamment publié : « Transdisciplinarité et transversalité épistémologiques chez Edgar Morin » chez L’Harmattan (Collection ouverture philosophique) en 2010, indiquant par là son attachement au concept morinien de complexité, mais également à sa pragmatique et à son épistémologie. Les lecteurs se rapporteront à PLASTIR 24, 09/2011 où il traitait de l’intersubjectivité chez Edgar Morin comme paradigme de construction de l’objectivité scientifique. Sa démarche se situe en effet dans une approche transversale du paradigme de complexité, « une modélisation intégrative et rotative du philosophique, du sociologique et de l’anthropologique » plutôt que dans un cantonnement sociologique ou épistémocritique strict de l’œuvre de Morin. Ce concept, devenu philosophie, lui sert de tremplin ou « d’opérateur » pour aborder « la crise des sciences sociales en Afrique », et plus généralement les états critiques, les conflits et les mutations humaines. La pensée complexe y incarne un rempart contre la sclérose socioéducative ou politique et l’induction de profondes remises en question des pouvoirs comme des savoirs. Cette tentative de refondation, largement partagée à l’échelle transculturelle, tend vers une éthique de la mondialisation et de la transmission des connaissances. Dans cette nouvelle contribution à PLASTIR. Auguste Nsonsissa se propose « mettre en avant quelques considérations russelliennes sur les « sense-data » qui ne se confondent pas avec les sensations ; quand bien même ils auraient rendu possible l’expérience sensible. Par ailleurs, les « sense datum » sont des objets de conscience qui servent d’énoncés protocolaires à la logique de l’intelligibilité des phénomènes physiques. Dans tous les cas, il s’agit d’un dépassement de la psychologie rationnelle qui, par-delà Kant, cède paradoxalement la place à une proximité maintenue par Russell entre « science et religion » à partir de sa notion d’esprit ». En effet, c’est bien de la description d’un trans-monde qui échappe à la science dont il s’agit selon Russel, d’une mise en jeu d’une théorie de la connaissance qui se voudrait dépasser les clivages métaphysiques et encourager les raisonnements logico-déductifs, dans la mesure où ils ne se contentent pas de former une philosophie scientifique, mais s’opposent une psychologie par trop rationalisante. L’« expérience directe » de la réalité, le cadre spatiotemporel des sense data, le rapport sujet-objet sont les armes ou les ressorts de cette démarche épistémologique contextualisée qui s’adresse en priorité aux logiciens et aux philosophes du langage, mais s’étend à tous les pans de la connaissance au travers d’une attitude foncièrement « sensualiste ». Cette chosification entraînera paradoxalement Russell vers un dépassement de la métaphysique interrogeant le mysticisme et la notion d’esprit, mais ce sera l’objet du prochain essai de notre auteur.

DIOGENE DE SINOPE, LA REALISATION DU RÊVE – PROPOSITION D’UN JEU TRANSDISCIPLINAIRE  –

Rémy BASTIDE est un plasticien au sens où nous l’entendons, à la fois tailleur de pierres, sculpteur de la matière et metteur en scène transdisciplinaire d’un rêve. Comme on l’a déjà présenté dans PLASTIR 12, 09/2008, il poursuit depuis plusieurs années un projet onirique singulier, « le rêve de Diogène de Sinope », dans le but de le reconstituer de la façon la plus fidèle possible. Comment ? En proposant un jeu transdisciplinaire, dont il nous donne, de façon beaucoup plus étayée qu’auparavant, le fonctionnement tout en laissant à chaque partenaire un libre arbitre non négligeable. De fait, le rêve de Diogène, philosophe cynique du monde gréco-romain apparaissant comme l’anti-Prométhée en ce qu’il « refuse les bienfaits de la civilisation apportés par le Titan aux hommes et parce qu’il conteste la valeur d’une intelligence humaine qui échappe le plus souvent au contrôle de la raison et de ce fait peut devenir la source des plus grands maux » est matériellement soutenu par « La table de l’homme », à la fois image, structure physique et espace interactif dédiée à l’échange et au partage actif des connaissances. Cet espace ouvre une « voie par laquelle la conscience prend conscience d’elle même – toute entière – et s’éveille Anima ». Après avoir mûri, le projet est aujourd’hui dans sa phase de réalisation, précisant l’amorce lancée par Rémy Bastide en 2008 et soutenue par PSA (Plasticités Sciences Arts), dans le but de prendre corps au travers d’un nouveau canevas transdisciplinaire : celui de relier les savoirs scientifiques, les connaissances poétiques et les expériences vécues. Le but et le déroulement du jeu sont ainsi clairement énoncés de même que son espace, « La Table de l’Homme », présentant une grille de lecture à la fois horizontale, transversale et verticale. Le jeu se déroule en trois temps : l’amorce (rassemblement de la matière première), le jeu de construction et le jeu de combinaison (réalisation du rêve). « L’objectif de l’amorce du jeu est de rassembler la matière pour la construction de la lecture transversale » résume son auteur en en précisant les modalités, les alternatives et les variantes thématiques autour du thème central de Prométhée, son complexe et les dérives du Prométhéisme. Tout est donc prêt pour que les acteurs de ce jeu transdisciplinaire se déclarent, s’engagent et offrent de réelles perspectives d’avenir à ce projet ambitieux, réaliste et annonciateur de « L’ère des plasticiens ». Blog de l’auteur.

LES RACINES DE LA SCIENCE ET DE LA THÉOLOGIE DANS LA PHILOSOPHIE CLASSIQUE : PREMIERS ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION SUR LA PLACE DU PÈRE DANS L’ÉLABORATION DU SAVOIR

Mariana THIERIOT LOISEL est une philosophe spécialisée en sciences de l’éducation vivant au Canada et une fidèle collaboratrice de notre revue. Elle aborde dans ce numéro le rôle du père dans la construction et la transmission des savoirs au travers des relations entre la science et une lecture philosophique des textes sacrés. Qu’il s’agisse de la philosophie orientale ou de la tradition judéo-chrétienne, l’auteur nous montre d’emblée que les piliers de la recherche de sens sont universaux : immanents si ils viennent de l’être, transcendants si le procédé est externe, traverse l’individu, apporte la connaissance. Les conséquences de l’adoption de l’un ou l’autre de ces modes de recherche conduisent irrémédiablement à la démarche scientifique dans le premier cas, et à la démarche mystique ou tout du moins théologique dans le second. Or, la symbolique paternelle à la fois créatrice et oppressive fait appel à la voie exogène contrecarrant l’autonomie donnée par la pensée logico-déductive. D’où l’affrontement entre le logos et le mythos sévissant aujourd’hui encore autant en Orient qu’en Occident. Cela conduira Mariana Thiériot Loisel « à réfléchir sur la place du Père dans la perlaboration de la connaissance, aux limites et aux conséquences posées par une connaissance héritée du dehors de façon transcendantale, et également à l’ouverture au champ des possibles, issue d’une vérité à l’épreuve du vécu immanent, proposée par les personnes qui réfléchissent en situation ». Au travers de ses lectures, du Tao au livre de Job, mais également des approches de penseurs contemporains comme Levin ou Meirieu, ses conclusions porteront sur le dialogue possible entre la voie endogène du sujet et la voie exogène d’élaboration du savoir père-fils. Parmi celles-ci, la voie zen abordée étape par étape par le biais du « chemin à huit branches », une interrogation légitime sur l’au-delà de l’homme, sur la place faite au femmes dans la transmission de la connaissance et sur le rôle de l’intériorité et de l’altérité dans la plasticité du savoir, et pour finir sur la place duelle du père, à la fois géniteur et répresseur de certaines formes de connaissance ou de divulgation du savoir. En conclusion, une ouverture « laïque » à la reprise du dialogue entre l’homo sapiens et l’homo ludens suivant Barbier pourrait permettre de s’affranchir de l’emprise divine du père…

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